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Télétravail en vacances : le tracancier peut-il vivre à son rythme ?

« Tracances, j’oublie tout ? » (5/6). S’organisant pour être opérationnel de n’importe où, le tracancier s’avère joignable n’importe quand. Au risque d’être corvéable toute la journée, et de devoir annuler son tennis.

Lever systématique à 7 heures. Pas d’alcool au déjeuner. Pas de baignade avant 17 heures. Pas d’apéro avant que le clocher de l’église du village n’ait sonné 19 heures… Partez avec des gens qui ont l’expérience du travail en vacances et vous découvrirez leur capacité à se construire un cadre de règles quasi monastiques pour se protéger des tentations. Prenez Catherine Royer, conseil en marketing pour des entreprises de l’alimentation, qui part en tracances à l’île d’Yeu avec ses enfants en bas âge et une jeune fille au pair. La famille se cale sur les horaires scolaires. « On se retrouve le soir comme s’ils avaient été à l’école. Moi, c’est comme si j’étais au bureau. » Le plus dur, c’est d’être en vacances et de penser à se maquiller et à s’habiller comme un jour de boulot normal, « pour que le haut corresponde à ce que mes clients voient toute l’année ».

Fondatrice du cabinet conseil AleVia, Nicole Tortello Duban part, elle, chaque été en tracances dans les Alpes du Sud. Elle randonne le matin, pique-nique à midi et revient travailler l’après-midi. Elle télétravaille tout l’été sauf, par principe, la semaine de son anniversaire. A écouter cette tracancière spartiate, ça semble une erreur de débutant de se faire croire qu’on travaillera dans les interstices des vacances. Bosser les jours de mauvais temps ? Peut-être qu’il n’y en aura pas. Et les collègues restés au bureau détestent s’entendre dire qu’on leur a gardé les créneaux horaires où on ne pouvait rien faire de mieux que de travailler.

Le tracancier qui débute peut vite découvrir qu’il dispose de moins de liberté que prévu. Oubliez l’idée de bidouiller un mi-temps, en vous absentant la moitié de la journée. Adrien Bonnet, coauteur d’un rapport du Forum Vie Mobiles sur l’impact du télétravail publié au printemps 2024, explique que la France est marquée par « une tradition de contrôle visuel des salariés dont on a encore l’héritage aujourd’hui ». Bref, même à distance, même en tongs, le présentéisme a la vie dure.

Travail dissimulé

En France, les chartes et accords d’entreprise sur le télétravail précisent très majoritairement les heures auxquelles les salariés sont supposés être joignables, constate l’avocate Diane Buisson. « Si demain, l’un d’eux va aux prud’hommes, il ne pourra pas dire qu’il a travaillé cinquante heures… » Dans un article publié dans la revue Juristourisme, la juriste Catherine Minet-Letalle rappelle qu’en cas de conflit avec un tracancier l’employeur peut être condamné, notamment au paiement d’heures supplémentaires ou pour travail dissimulé.

Le paradoxe, note Pierre, responsable régional pour une marque de prêt-à-porter, c’est qu’on s’obstine à garder des horaires de bureau quand on est en télétravail en vacances alors que, depuis le Covid-19, ces mêmes horaires sont appliqués de moins en moins strictement pour ceux qui sont en présentiel : « Finalement, les étudiants en alternance sont les seuls qui sont obligés d’être dans l’entreprise tous les jours, encadrés par des gens qui peuvent être au bord de la mer… »

Evidemment, cela ne signifie pas que le tracancier est toute la journée derrière son ordinateur mais qu’il doit apprendre à simuler une présence permanente. Laurence, infographiste, a un supérieur qui n’a aucune idée du temps dont elle a besoin pour réaliser ses documents. Elle les fait généralement dans le train entre Paris et Biarritz, et elle laisse passer deux ou trois heures entre chaque envoi accompagné d’un message comme « voilà ce que je viens de finir, qu’en penses-tu ? ».

Les tracanciers heureux sacralisent les plages de travail autant que les plages – justement – de plage. « Mon truc pour ne pas être écartelée par le rythme, c’est de considérer les tranches horaires d’apéro-préparation de la salade de riz collective comme des vrais rendez-vous. Je dis avec aplomb à mes clients que tel jour je suis joignable de 9 heures à 11 heures et de 15 heures à 17 heures, et je ne fais plus de concession, même si je sais que j’aggrave le casse-tête de celui qui organise la visio », raconte Valérie, directrice d’études avec au compteur « des années d’erreurs de tracances ».

Scotché devant l’écran de l’ordinateur

Curieusement, dans cette gestion souple des emplois du temps, l’immédiateté des outils collaboratifs n’est pas toujours un atout. S’organisant pour pouvoir travailler de n’importe où, le tracancier s’avère joignable… n’importe quand. Ancien cadre d’une grande plate-forme devenu entrepreneur en Bretagne, Aurélien voit arriver l’été ses anciens collègues parisiens qui se promettent de lever le pied en tracances. « Ils te disent qu’ils vont s’organiser, qu’ils peuvent boire l’apéro sur le port ou faire un footing dans la journée… Mais, le plus souvent, ils sont scotchés devant l’écran de leur ordinateur. »

Parce que le télétravailleur sur son lieu de vacances n’a pas de temps de transport, n’est pas supposé avoir rencontré un collègue dans les couloirs ou être parti à un déjeuner de boulot, il devient corvéable à merci, censément disponible toute la journée. « Tu te retrouves prisonnier dans ta propre maison. Tu n’es plus au bureau mais tu te sens traqué, on remplit ton agenda de visios et on te demande des comptes. »

Oui, Philippe, directeur de projet d’une grande entreprise industrielle est bien allé faire un jogging à 11 heures du matin pendant ses vacances laborieuses, mais parce que c’était la seule plage horaire qu’il lui restait, ses collègues se sentant libres d’occuper son emploi du temps de 8 heures à 19 heures. « Si tu travailles avec des Slack, des chats, des Teams, en partage d’écran, tu es obligé de t’aligner sur ceux restés au bureau », regrette Paul, chef de produit numérique. « Slack, c’est hyperpratique mais c’est aussi un outil de surveillance », reconnaît un tracancier qui avoue ne pas pouvoir s’empêcher de constater qui est en ligne et qui ne l’est pas.

Néanmoins, l’hédonisme peut se nicher là où on ne l’attend pas. Vous trouverez même des tracanciers convaincus que la tranche de travail quotidienne permet de mieux profiter des vacances. Ainsi, Théo, qui travaille pour une entreprise américaine, pousse toute sa famille à se lever à 7 heures pour pouvoir faire une randonnée dans les Cévennes avant que ses collègues américains ne se réveillent. « Me dire “j’écris puis je vais à la plage”, j’adore le rythme que ça donne à mes journées. C’est comme inscrire un gamin au stage de voile, ça te fait te réveiller plus tôt pour l’emmener et ensuite profiter du temps restant », raconte Christie Vanbremeersch, autrice et coach.

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